le boulet avec, et Barbicane ne sera plus là pour te rembourser tes dollars.
--Mon enjeu est déposé à la banque de Baltimore, répondit simplement Barbicane, et à défaut de Nicholl, il retournera à ses héritiers!
--Ah! hommes pratiques! s'écria Michel Ardan, esprits positifs! Je vous admire d'autant plus que je ne vous comprends pas.
--Dix heures quarante deux! dit Nicholl.
--Plus que cinq minutes! répondit Barbicane.
--Oui! cinq petites minutes! répliqua Michel Ardan. Et nous sommes enfermés dans un boulet au fond d'un canon de neuf cents pieds! Et sous ce boulet sont entassés quatre cent mille livres de fulmi-coton qui valent seize cent mille livres de poudre ordinaire! Et l'ami Murchison, son chronomètre à la main, l'oeil fixé sur l'aiguille, le doigt posé sur l'appareil électrique, compte les secondes et va nous lancer dans les espaces interplanétaires!...
--Assez, Michel, assez! dit Barbicane d'une voix grave. Préparons-nous. Quelques instants seulement nous séparent d'un moment suprême. Une poignée de main, mes amis.
--Oui?, s'écria Michel Ardan, plus ému qu'il ne voulait le para?tre.
Ces trois hardis compagnons s'unirent dans une dernière étreinte.
?Dieu nous garde!? dit le religieux Barbicane.
Michel Ardan et Nicholl s'étendirent sur les couchettes disposées au centre du disque.
?Dix heures quarante sept!? murmura le capitaine.
Vingt secondes encore! Barbicane éteignit rapidement le gaz et se coucha près de ses compagnons.
Le profond silence e n'était interrompu que par les battements du chronomètre frappant la seconde.
Soudain, un choc épouvantable se produisit, et le projectile, sous la poussée de six milliards de litres de gaz développés par la déflagration du pyroxile, s'enleva dans l'espace.
II
La première demi-heure
Que s'était-il passé? Quel effet avait produit cette effroyable secousse? L'ingéniosité des constructeurs du projectile avait-elle obtenu un résultat heureux? Le choc s'était-il amorti, grace aux ressorts, aux quatre tampons, aux coussins d'eau, aux cloisons brisantes? Avait-on dompté l'effrayante poussée de cette vitesse initiale de onze mille mètres qui e?t suffi à traverser Paris ou New York en une seconde? C'est évidemment la question que se posaient les mille témoins de cette scène émouvante. Ils oubliaient le but du voyage pour ne songer qu'aux voyageurs! Et si quelqu'un d'entre eux -- J.-T. Maston, par exemple --, e?t pu jeter un regard à l'intérieur du projectile, qu'aurait-il vu?
Rien alors. L'obscurité était profonde dans le boulet. Mais ses parois cylindro-coniques avaient supérieurement résisté. Pas une déchirure, pas une flexion, pas une déformation. L'admirable projectile ne s'était même pas altéré sous l'intense déflagration des poudres, ni liquéfié, comme on paraissait le craindre, en une pluie d'aluminium.
A l'intérieur, peu de désordre, en somme. Quelques objets avaient été lancés violemment vers la vo?te; mais les plus importants ne semblaient pas avoir souffert du choc. Leurs saisines étaient intactes.
Sur le disque mobile, rabaissé jusqu'au culot, après le bris des cloisons et l'échappement de l'eau, trois corps gisaient sans mouvement. Barbicane, Nicholl, Michel Ardan respiraient-ils encore? Ce projectile n'était-il plus qu'un cercueil de métal, emportant trois cadavres dans l'espace?...
Quelques minutes après le départ du boulet, un de ces corps fit un mouvement; ses bras s'agitèrent, sa tête se redressa, et il parvint à se mettre sur les genoux. C'était Michel Ardan. Il se palpa, poussa un a ?hem? sonore, puis il dit;
?Michel Ardan, complet. Voyons les autres!?
Le courageux Fran?ais voulut se lever; mais il ne put se tenir debout. Sa tête vacillait, son sang violemment injecté, l'aveuglait, il était comme un homme ivre.
?Brr! fit-il. Cela me produit le même effet que deux bouteilles de Corton. Seulement, c'est peut-être moins agréable à avaler!?
Puis, passant plusieurs fois sa main sur son front et se frottant les tempes, il cria d'une voix ferme:
?Nicholl! Barbicane!?
Il attendit anxieusement. Nulle réponse. Pas même un soupir qui indiquat que le coeur de ses compagnons battait encore. Il réitéra son appel. Même silence.
?Diable! dit-il. Ils ont l'air d'être tombés d'un cinquième étage sur la tête! Bah! ajouta-t-il avec cette imperturbable confiance que rien ne pouvait enrayer, si un Fran?ais a pu se mettre sur les genoux, deux Américains ne seront pas gênés de se remettre sur les pieds. Mais, avant tout éclairons la situation?.
Ardan sentait la vie lui revenir à flots. Son sang se calmait et reprenait sa circulation accoutumée. De nouveaux efforts le remirent en équilibre. Il parvint à se lever, tira de sa poche une allumette et l'enflamma sous le frottement du phosphore. Puis, l'approchant du bec, il l'alluma. Le récipient n'avait aucunement souffert. Le gaz ne s'était pas échappé. D'ailleurs, son odeur l'e?t trahi, et en ce cas, Michel Ardan n'aurait pas impunément promené une allumette enflammée dans ce milieu rempli d'hydrogène. Le gaz, combiné avec l'air, e?t produit un mélange détonant et l'explosion aurait achevé ce que la secousse avait commencé peut-être.
Dès que le bec fut allumé, Ardan se pencha sur les corps de ses compagnons. Ces corps étaient renversés l'un sur l'autre, comme des masses inertes. Nicholl dessus, Barbicane dessous.
Ardan redressa le capitaine, l'accota contre un
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