Alsace, Lorraine et France rhénane | Page 2

Stéphen Coubé
tous nos esprits.
Nous n'allons pas perdre notre temps à discuter les arguments de l'Allemagne, qui prétend avoir des droits sur l'Alsace-Lorraine parce que cette région serait peuplée de races plus ou moins parentes des Germains, et qui réclame au même titre la Hollande, la Belgique, la Suisse, la Franche-Comté, la Champagne, la Bourgogne, etc... Nous ne discuterons pas davantage la prétention germanique de posséder la loi sur laquelle l'humanité entière doit se régler.
Il ne peut plus être question, au long de la charmante Moselle et sur la rive gauche du Rhin, d'aucune souveraineté de Bavière, ni de Prusse, d'aucune pensée pangermaniste. Nous voulons la paix du monde, la sécurité pour nos fils et pour nos petits-fils.
D'ailleurs, nos enfants seront aisément aimés, sur cette rive gauche. Nos pères y étaient hautement estimés. Ces beaux territoires, soustraits à la brutalité prussienne, ne tarderont guère à fournir, sous la discipline fran?aise, d'excellents éléments graves, patients, loyaux, qui s'équilibreront très bien dans notre nation. Je me rappelle, parmi les jours les plus heureux de ma vie, ceux que j'ai passés à errer en bicyclette, en bateau, à pied, de Metz à Coblence, parmi ces forêts, ces montagnes romanesques, ces petits villages tout pleins de souvenirs de la Révolution et du Premier Empire. Je n'étais pas en Allemagne, mais sur des territoires que mettrait au point un seul rayon du soleil de France.
Le Rhin est un vieux dieu loyal. Quand il aura re?u des instructions, il montera très bien la garde pour notre compte et fera une barrière excellente à la Germanie. Vous verrez, nous nous assoirons comme des ma?tres amicaux sur la rive du fleuve, et nous ranimerons ce que la Prusse a dénaturé et dégradé, mais qui était bien beau. Nous libérerons le génie de l'Allemagne qu'ont aimé follement nos pères._
_Un délire pangermanique empoisonne à cette heure les peuplades d'outre-Rhin. Pourtant leurs états particuliers demeurent en général solides et aimés, en même temps que le Prussien envahisseur est sourdement détesté. Guérissons des malades. évitons à ces Allemands de vivre plus longtemps dans cette unité qui a surexcité en eux le plus effroyable esprit de domination. C'est un digne r?le pour des vainqueurs généreux. Et puis, trêve de plaisanterie, ceux qui se sacrifient à cette heure avec une terrible énergie pour le salut de la patrie se désespéreraient si leur holocauste devait être rendu inutile. Ils ne veulent pas avoir été dupés. C'est le salut de la France et la paix du monde, sans pitié pour l'Allemagne, qu'exigent les mères en deuil, les soldats et le génie politique._
_M. l'abbé Coubé doit être remercié de mettre dans la discussion publique le fruit de ses études et de sa méditation._
Maurice BARRèS.

* * * * *
ALSACE, LORRAINE ET FRANCE RHéNANE

I
#INTRODUCTION#
La montagne de Sainte-Odile.
Par un beau jour ensoleillé du mois de juillet 1908, je me trouvais sur la montagne de Sainte-Odile et, de ce magnifique belvédère, je contemplais l'immense plaine alsacienne qui s'étend à ses pieds à perte de vue. Il était midi, lorsque, soudain, de tous les clochers, de toutes les houblonnières, de tous les bois de sapins, de tous les pieux villages blottis dans la verdure, j'entendis monter la voix des cloches, égrenant joyeusement les notes de l'Angélus. Et je me dis: ?Quand donc l'Angélus de la délivrance sonnera-t-il pour l'Alsace? Quand donc l'Ange lui annoncera-t-il que le Sauveur est venu??
Il est venu aujourd'hui le Sauveur. Il est apparu, le drapeau tricolore à la main, sur la crête des Vosges. Il est descendu dans la plaine, un peu trop vite peut-être tout d'abord, au mois d'ao?t 1914. Que voulez-vous? Il était emporté par son coeur qui ne mesure jamais le danger. Lorsqu'on apprit que nos soldats avaient arraché les poteaux-frontières, qu'ils s'avan?aient vers le Rhin, que leur drapeau avait flotté sur Mulhouse, une explosion de joie souleva toute la France. Elle dut bient?t, il est vrai, s'avouer qu'on ne vient pas à bout en quelques jours, à coups d'enthousiasme, d'une organisation militaire minutieusement préparée pendant quarante-quatre ans. Mais l'espérance et la certitude de la victoire, loin d'avoir diminué, n'ont cessé de cro?tre depuis un an.
Le Sauveur est là, attendant son heure, l'heure de l'Angélus libérateur. Il a dit aux habitants de Thann: ?_Notre retour est définitif. Vous êtes fran?ais pour toujours. Je suis la France, vous êtes l'Alsace. Je vous apporte le baiser de la France!_? Et les vieux Alsaciens pleuraient en entendant Joffre parler ainsi, en voyant le drapeau fran?ais claquer sur leur mairie et leur église, comme au temps de leur enfance.
L'Alsace et la Lorraine nous sont restées tendrement attachées. La cigogne n'a cessé de maudire le vautour prussien, paré des plumes de l'aigle, et elle a hate d'entendre de nouveau son ami Chantecler jeter le nom de France du haut des clochers. Le vieux maréchal Fabert nous fait signe à Metz, Ney à
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