lui recommandai de se trouver le soir même à l'entrée de la chapelle de Sainte Ultrogote avec le moins de vêtemens possible, parce que j'en avois de sanctifiés à lui fournir, dont la vertu magique seroit de la faire aussit?t disparo?tre du couvent.
Léonore ne me comprenant point, vint aussit?t me trouver chez ma tante. Comme nous avions ménagé nos rendez-vous, ils n'étonnèrent personne. On nous laissa seuls un instant, et j'expliquai tout le mystère.
Le premier mouvement de Léonore fut de rire. L'esprit qu'elle avait ne s'arrangeant pas avec le bigotisme, elle ne vit d'abord rien que de très-plaisant au projet de lui faire prendre la place d'une statue miraculeuse; mais la réflexion refroidit bient?t sa ga?té.... Il fallait passer la nuit là.... Quelque chose pouvait s'entendre; les Nones.... Celles, au moins, qui couchaient près de cette chapelle, n'avaient qu'à s'imaginer que le bruit qui en venait, était occasionné par la Sainte, furieuse de son changement; elles n'avaient qu'à venir examiner, découvrir.... Nous étions perdus; dans le transport, pouvait-elle répondre d'un mouvement?... Et si on levait le drap, dont elle serait couverte.... Si enfin.... Et mille objections, toutes plus raisonnables les unes que les autres, et que je détruisis d'un seul mot, en assurant Léonore qu'il y avait un Dieu pour les amans, et que ce Dieu imploré par nous, accomplirait infailliblement nos voeux, sans que nul obstacle vint en troubler l'effet.
Léonore se rendit, personne ne couchait dans sa chambre; c'était le plus essentiel. J'avais écrit à la femme qui m'avait accompagné de Paris, de se trouver le lendemain, de très-grand matin, chez le sculpteur, dont je lui envoyais l'adresse; d'apporter des habits convenables pour une jeune personne presque nue, qu'on lui remettrait, et de l'emmener aussi-t?t à l'auberge où nous étions descendus, de demander des chevaux de poste pour neuf heures précises du matin; que je serais sans faute, de retour à cette heure, et que nous partirions de suite.
Tout allant à merveille de ce c?té, je ne m'occupai plus que des projets intérieurs; c'est-à-dire des plus difficiles, sans-doute.
Léonore prétexta un mal de tête, afin d'avoir le droit de se retirer de meilleure heure, et dès qu'on la crut couchée, elle sortit, et vint me trouver dans la chapelle, où j'avais l'air d'être en méditation. Elle s'y mit comme moi; nous laissames étendre toutes les nones sur leurs saintes couches, et dès que nous les supposames ensevelies dans les bras du sommeil, nous commen?ames à briser et à réduire en poudre la miraculeuse statue, ce qui nous fut fort aisé, vu l'état dans lequel elle était. J'avais un grand sac, tout prêt, au fond duquel étaient placées quelques grosses pierres. Nous mimes dedans les débris de la sainte, et j'allai promptement jetter le tout dans un puits. Léonore, peu vêtue, s'affubla aussi-t?t des parures de Sainte-Ultrogote; je l'arrangeai dans la situation penchée, où le sculpteur l'avait mise, pour la travailler. Je lui emmaillotai les bras, je mis à c?té d'elle, ceux de bois, que nous avions cassé la veille, et après lui avoir donné un baiser.... Baiser délicieux, dont l'effet fut sur moi bien plus puissant que les miracles de toutes les Saintes du Ciel; je fermai le temple où reposait ma déesse, et me retirai tout rempli de son culte.
Le lendemain, de grand matin, le sculpteur entra, suivi d'un de ses élèves, tous deux munis d'un drap. Ils le jetterent sur Léonore, avec tant de promptitude et d'adresse, qu'une none qui les éclairait, ne put rien découvrir; l'artiste aidé de son gar?on, emporta la prétendue Sainte; ils sortirent, et Léonore re?ue par la femme qui l'attendait, se trouva à l'auberge indiquée, sans avoir éprouvé d'obstacle à son évasion.
J'avais prévenu de mon départ. Il n'étonna personne. J'affectai, au milieu de ces dames, d'être surpris de ne point voir Léonore, on me dit qu'elle était malade. Très en repos sur cette indisposition, je ne montrai qu'un intérêt médiocre. Ma tante, pleinement persuadée que nous nous étions fait nos adieux mystérieusement, la veille, ne s'étonna point de ma froideur, et je ne pensai plus qu'à revoler avec empressement, où m'attendait l'objet de tous mes voeux.
Cette chère fille avait passé une nuit cruelle, toujours entre la crainte et l'espérance; son agitation avait été extrême; pour achever de l'inquiéter encore plus, une vieille religieuse était venue pendant la nuit prendre congé de la Sainte; elle avait marmotté plus d'une heure, ce qui avait presqu'empêché Léonore de respirer; et à la fin des paten?tres, la vieille bégueule en larmes avait voulu la baiser au visage; mais mal éclairée, oubliant sans doute le changement d'attitude de la statue, son acte de tendresse s'était porté vers une partie absolument opposée à la tête; sentant cette partie couverte, et imaginant bien qu'elle se trompait, la vieille avait palpé pour se convaincre encore mieux de son erreur. Léonore extrêmement
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.