Ainsi Parlait Zarathoustra | Page 2

Friedrich Wilhelm Nietzsche
ainsi: "Tâche alors de leur
faire accepter les trésors. Ils se méfient des solitaires et ne croient pas
que nous venions pour donner.
A leurs oreilles les pas du solitaire retentissent trop étrangement à
travers les rues. Défiants comme si la nuit, couchés dans leurs lits, ils
entendaient marcher un homme, longtemps avant de lever du soleil, ils
se demandent peut-être: Où se glisse ce voleur?
Ne vas pas auprès des hommes, reste dans la forêt! Retourne plutôt
auprès des bêtes! Pourquoi ne veux-tu pas être comme moi, - ours
parmi les ours, oiseau parmi les oiseaux?"
"Et que fait le saint dans les bois?" demanda Zarathoustra.
Le saint répondit: "Je compose des chants et je les chante, et quand je
fais des chants, je ris, je pleure et je murmure: c'est ainsi que je loue
Dieu.
Avec des chants, des pleurs, des rires et des murmures, je rends grâce à
Dieu qui est mon Dieu. Cependant quel présent nous apportes-tu?"
Lorsque Zarathoustra eut entendu ces paroles, il salua le saint et lui dit:
"Qu'aurais-je à vous donner? Mais laissez-moi partir en hâte, afin que
je ne vous prenne rien!" - Et c'est ainsi qu'ils se séparèrent l'un de
l'autre, le vieillard et l'homme, riant comme rient deux petits garçons.
Mais quand Zarathoustra fut seul, il parla ainsi à son coeur: "Serait-ce
possible! Ce vieux saint dans sa forêt n'as pas encore entendu dire que
_Dieu est mort!_"
3.
Lorsque Zarathoustra arriva dans la ville voisine qui se trouvait le plus
près des bois, il y vit une grande foule rassemblée sur la place publique:
car on avait annoncé qu'un danseur de corde allait se montrer. Et
Zarathoustra parla au peuple et lui dit:
_Je vous enseigne le Surhumain._ L'homme est quelque chose qui doit
être surmonté. Qu'avez-vous fait pour le surmonter?
Tous les êtres jusqu'à présent ont créé quelque chose au-dessus d'eux, et
vous voulez être le reflux de ce grand flot et plutôt retourner à la bête
que de surmonter l'homme?

Qu'est le singe pour l'homme? Une dérision ou une honte douloureuse.
Et c'est ce que doit être l'homme pour le surhumain: une dérision ou
une honte douloureuse.
Vous avez tracé le chemin qui va du ver jusqu'à l'homme et il vous est
resté beaucoup du ver de terre. Autrefois vous étiez singe et maintenant
encore l'homme est plus singe qu'un singe.
Mais le plus sage d'entre vous n'est lui-même qu'une chose disparate,
hybride fait d'une plante et d'un fantôme. Cependant vous ai-je dit de
devenir fantôme ou plante?
Voici, je vous enseigne le Surhumain!
Le Surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise: que le
Surhumain soit le sens de la terre.
Je vous en conjure, mes frères, _restez fidèles à la terre_ et ne croyez
pas ceux qui vous parlent d'espoirs supraterrestres! Ce sont des
empoisonneurs, qu'ils le sachent ou non.
Ce sont des contempteurs de la vie, des moribonds et des empoisonnés
eux-mêmes, de ceux dont la terre est fatiguée: qu'ils s'en aillent donc!
Autrefois le blasphème envers Dieu était le plus grand blasphème, mais
Dieu est mort et avec lui sont morts ses blasphémateurs. Ce qu'il y a de
plus terrible maintenant, c'est de blasphémer la terre et d'estimer les
entrailles de l'impénétrable plus que le sens de la terre!
Jadis l'âme regardait le corps avec dédain, et rien alors n'était plus haut
que ce dédain: elle le voulait maigre, hideux, affamé! C'est ainsi qu'elle
pensait lui échapper, à lui et à la terre!
Oh! cette âme était elle-même encore maigre, hideuse et affamée: et
pour elle la cruauté était une volupté!
Mais, vous aussi, mes frères, dites-moi: votre corps, qu'annonce-t-il de
votre âme? Votre âme n'est-elle pas pauvreté, ordure et pitoyable
contentement de soi-même?
En vérité, l'homme est un fleuve impur. Il faut être devenu océan pour
pouvoir, sans se salir, recevoir un fleuve impur.
Voici, je vous enseigne le Surhumain: il est cet océan; en lui peut
s'abîmer votre grand mépris.
Que peut-il vous arriver de plus sublime? C'est l'heure du grand mépris.
L'heure où votre bonheur même se tourne en dégoût, tout comme votre
raison et votre vertu.
L'heure où vous dites: "Qu'importe mon bonheur! Il est pauvreté,

ordure et pitoyable contentement de soi-même. Mais mon bonheur
devrait légitimer l'existence elle-même!"
L'heure où vous dites: "Qu'importe ma raison? Est-elle avide de science,
comme le lion de nourriture? Elle est pauvreté, ordure et pitoyable
contentement de soi-même!"
L'heure où vous dites: "Qu'importe ma vertu! Elle ne m'a pas encore
fait délirer. Que je suis fatigué de mon bien et de mon mal! Tout cela
est pauvreté, ordure et pitoyable contentement de soi-même."
L'heure où vous dites: "Qu'importe ma justice! Je ne vois pas que je
sois charbon ardent. Mais le juste est charbon ardent!"
L'heure où vous dites: "Qu'importe ma pitié!
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