des milieux différents; les uns ont respiré Paris, les autres ont respiré Rome.
L'air qu'on respire, tout est là. C'est de cela que l'homme dépend. L'enfant de Paris, même inconscient, même ignorant, car, jusqu'au jour où l'instruction obligatoire existera, il a sur lui une ignorance voulue d'en haut, l'enfant de Paris respire, sans s'en douter et sans s'en apercevoir, une atmosphère qui le fait probe et équitable. Dans cette atmosphère il y a toute notre histoire; les dates mémorables, les belles actions et les belles oeuvres, les héros, les po?tes, les orateurs, le Cid, Tartuffe, le Dictionnaire philosophique, _l'Encyclopédie_, la tolérance, la fraternité, la logique, l'idéal littéraire, l'idéal social, la grande ame de la France. Dans l'atmosphère de Rome il y a l'inquisition, l'index, la censure, la torture, l'infaillibilité d'un homme substituée à la droiture de Dieu, la science niée, l'enfer éternel affirmé, la fumée des encensoirs compliquée de la cendre des b?chers. Ce que Paris fait, c'est le peuple; ce que Rome fait, c'est la populace. Le jour où le fanatisme réussirait à rendre Rome respirable à la civilisation, tout serait perdu; l'humanité entrerait dans de l'ombre.
C'est Rome qu'on respire à Bruxelles. Les hommes qu'on vient de voir travailler place des Barricades sont des disciples du Quirinal; ils sont tellement catholiques qu'ils ne sont plus chrétiens. Ils sont très forts; ils sont devenus merveilleusement reptiles et tortueux; ils savent le double itinéraire de Mandrin et d'Escobar; ils ont étudié toutes les choses nocturnes, les procédés du banditisme et les doctrines de l'encyclique; ce serait des chauffeurs si ce n'était des jésuites; ils attaquent avec perfection une maison endormie; ils utilisent ce talent au service de la religion; ils défendent la société à la fa?on des voleurs de grand chemin; ils complètent l'oraison jaculatoire par l'effraction et l'escalade; ils glissent du bigotisme au brigandage; et ils démontrent combien il est aisé aux élèves de Loyola d'être les plagiaires de Schinderhannes.
Ici une question.
Est-ce que ces hommes sont méchants?
Non.
Que sont-ils donc?
Imbéciles.
être féroce n'est point difficile; pour cela l'imbécillité suffit.
Sont-ils donc nés imbéciles?
Point.
On les a faits; nous venons de le dire.
Abrutir est un art.
Les prêtres des divers cultes appellent cet art Liberté d'enseignement.
Ils n'y mettent aucune mauvaise intention, ayant eux-mêmes été soumis à la mutilation d'intelligence qu'ils voudraient pratiquer après l'avoir subie.
Le castrat faisant l'eunuque, cela s'appelle l'Enseignement libre.
Cette opération serait tentée sur nos enfants, s'il était donné suite à la loi d'ailleurs peu viable qu'a votée l'assemblée défunte.
Le double récit qu'on vient de lire est une simple note en marge de cette loi.
VII
Qui dit éducation dit gouvernement; enseigner, c'est régner; le cerveau humain est une sorte de cire terrible qui prend l'empreinte du bien ou du mal selon qu'un idéal le touche ou qu'une griffe le saisit.
L'éducation par le clergé, c'est le gouvernement par le clergé. Ce genre de gouvernement est jugé. C'est lui qui sur la cime auguste de la glorieuse Espagne a mis cet effroyable autel de Moloch, le quemadero de Séville. C'est lui qui a superposé à la Rome romaine la Rome papale, monstrueux étouffement de Caton sous Borgia.
La dialectique a une double loi, voir de haut et serrer de près. Les gouvernements-prêtres ne résistent à aucune de ces deux formes du raisonnement; de près, on voit leurs défauts; de haut, on voit leurs crimes.
La griffe est sur l'homme et la patte est sur l'enfant. L'histoire faite par Torquemada est racontée par Loriquet.
Sommet, le despotisme; base, l'ignorance.
VIII
Rome a beaucoup de bras. C'est l'antique hécatonchire. On a cru cette bête fabuleuse jusqu'au jour où la pieuvre est apparue dans l'océan et la papauté dans le moyen age. La papauté s'est d'abord appelée Grégoire VII, et elle a fait esclaves les rois; puis elle s'est appelée Pie V, et elle a fait prisonniers les peuples. La révolution fran?aise lui a fait lacher prise; la grande épée républicaine a coupé toutes ces ligatures vivantes enroulées autour de l'ame humaine, et a délivré le monde de ces noeuds malsains, arctis nodis relligionum, dit Lucrèce; mais les tentacules ont repoussé, et aujourd'hui voilà que de nouveau les cent bras de Rome sortent des profondeurs et s'allongent vers les agrès frissonnants du navire en marche, saisissement redoutable qui pourrait faire sombrer la civilisation.
A cette heure, Rome tient la Belgique; mais qui n'a pas la France n'a rien. Rome voudrait tenir la France. Nous assistons à ce sinistre effort.
Paris et Rome sont aux prises.
Rome nous veut.
Les ténèbres gonflent toutes leurs forces autour de nous.
C'est l'épouvantable rut de l'ab?me.
IX
Autour de nous se dresse toute la puissance multiple qui peut sortir du passé, l'esprit de monarchie, l'esprit de superstition, l'esprit de caserne et de couvent, l'habileté des menteurs, et l'effarement de ceux qui ne comprennent pas. Nous avons contre nous la témérité, la hardiesse, l'effronterie, l'audace et la peur.
Nous n'avons pour nous que la lumière.
C'est pourquoi nous vaincrons.
Si étrange

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