Actes et Paroles, vol 2 | Page 3

Victor Hugo
Bonaparte. A vos banquets de fraternité, quelqu'un dans un coin criera: _Vive Marat! vive Hèbert! vive la guillotine_! Avec un peu d'attention vous reconna?trez la voix de Carlier. Quelquefois l'espion mendie; l'empereur vous demande l'aum?ne par son Piétri; vous donnez, il rit; ga?té de bourreau. Vous payez les dettes d'auberge de cet exilé, c'est un agent; vous payez le voyage de ce fugitif, c'est un sbire; vous passez la rue, vous entendez dire: _Voilà le vrai tyran!_ C'est de vous qu'on parle; vous vous retournez; qui est cet homme? on vous répond: c'est un proscrit. Point. C'est un fonctionnaire. Il est farouche et payé. C'est un républicain signé Maupas. Coco se déguise en Scaevola.
Quant aux inventions, quant aux impostures, quant aux turpitudes, acceptez-les. Ce sont les projectiles de l'empire.
Surtout ne réclamez pas. On rirait. Après la réclamation, l'injure recommencera, la même, sans même prendre la peine de varier; à quoi bon changer de bave? celle d'hier est bonne.
L'outrage continuera, sans relache, tous les jours, avec la tranquillité infatigable et la conscience satisfaite de la roue qui tourne et de la vénalité qui ment. De représailles point; l'injure se défend par sa bassesse; la platitude sauve l'insecte. L'écrasement de zéro est impossible. Et la calomnie, s?re de l'impunité, s'en donne à coeur joie; elle descend à de si niaises indignités que l'abaissement de la démentir dépasse le dégo?t de l'endurer.
Les insulteurs ont pour public les imbéciles. Cela fait un gros rire.
On en vient à s'étonner que vous ne trouviez pas tout naturel d'être calomnié. Est-ce que vous n'êtes pas là pour cela? O homme na?f, vous êtes cible. Tel personnage est de l'académie pour vous avoir insulté; tel autre a la croix pour le même acte de bravoure, l'empereur l'a décoré sur le champ d'honneur de la calomnie; tel autre, qui s'est distingué aussi par des affronts d'éclat, est nommé préfet. Vous outrager est lucratif. Il faut bien que les gens vivent. Dame! pourquoi êtes-vous exilé?
Soyez raisonnable. Vous êtes dans votre tort. Qui vous for?ait de trouver mauvais le coup d'état? Quelle idée avez-vous eue de combattre pour le droit? Quel caprice vous a passé par la tête de vous révolter du c?té de la loi? Est-ce qu'on prend la défense du droit et de la loi quand ils n'ont plus personne pour eux? Voilà bien les démagogues! s'entêter, persévérer, persister, c'est absurde. Un homme poignarde le droit et assassine la loi. Il est probable qu'il a ses raisons. Soyez avec cet homme. Le succès le fait juste. Soyez avec le succès puisque le succès devient le droit. Tout le monde vous en saura gré. Nous ferons votre éloge. Au lieu d'être proscrit vous serez sénateur, et vous n'aurez pas la figure d'un idiot.
Osez-vous douter du bon droit de cet homme? mais vous voyez bien qu'il a réussi! Vous voyez bien que les juges qui l'avaient mis en accusation lui prêtent serment! Vous voyez bien que les prêtres, les soldats, les évêques, les généraux, sont avec lui! Vous croyez avoir plus de vertu que tout cela! vous voulez tenir tête à tout cela! Allons donc! D'un c?té tout ce qui est respecté, tout ce qui est respectable, tout ce qui est vénéré, tout ce qui est vénérable, de l'autre, vous! C'est inepte; et nous vous bafouons, et nous faisons bien. Mentir contre une brute est permis. Tous les honnêtes gens sont contre vous; et nous, les calomniateurs, nous sommes avec les honnêtes gens. Voyons, réfléchissez, rentrez en vous-même. Il fallait bien sauver la société. De qui? de vous. De quoi ne la menaciez-vous pas? Plus de guerre, plus d'échafaud, l'abolition de la peine de mort, l'enseignement gratuit et obligatoire, tout le monde sachant lire! C'était affreux. Et que d'utopies abominables! la femme de mineure faite majeure, cette moitié du genre humain admise au suffrage universel, le mariage libéré par le divorce; l'enfant pauvre instruit comme l'enfant riche, l'égalité résultant de l'éducation; l'imp?t diminué d'abord et supprimé enfin par la destruction des parasitismes, par la mise en location des édifices nationaux, par l'égout transformé en engrais, par la répartition des biens communaux, par le défrichement des jachères, par l'exploitation de la plus-value sociale; la vie à bon marché, par l'empoissonnement des fleuves; plus de classes, plus de frontières, plus de ligatures, la république d'Europe, l'unité monétaire continentale, la circulation décuplée décuplant la richesse; que de folies! il fallait bien se garer de tout cela! Quoi! la paix serait faite parmi les hommes, il n'y aurait plus d'armée, il n'y aurait plus de service militaire! Quoi! la France serait cultivée de fa?on à pouvoir nourrir deux cent cinquante millions d'hommes; il n'y aurait plus d'imp?t, la France vivrait de ses rentes! Quoi! la femme voterait, l'enfant aurait un droit devant le père, la mère de famille ne serait plus une sujette et une
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