et les éclats de rire duraient un quart d'heure. L'orateur
qui parle ici en profitait pour se recueillir.
Pendant l'insulte, il s'adossait au mur de la tribune et méditait.
Ce même 17 juillet 1851 fut le jour où il prononça le mot: «Napoléon le
Petit». Sur ce mot, la fureur de la majorité fut telle et éclata en de si
menaçantes rumeurs, que cela s'entendait du dehors et qu'il y avait
foule sur le pont de la Concorde pour écouter ce bruit d'orage.
Ce jour-là, il monta à la tribune, croyant y rester vingt minutes, il y
resta trois heures.
Pour avoir entrevu et annoncé le coup d'état, tout le futur sénat du futur
empire le déclara «calomniateur». Il eut contre lui tout le parti de
l'ordre et toutes les nuances conservatrices, depuis M. de Falloux,
catholique, jusqu'à M. Vieillard, athée.
Être un contre tous, cela est quelquefois laborieux.
Il ripostait dans l'occasion, tâchant de rendre coup pour coup.
Une fois à propos d'une loi d'éducation cléricale cachant
l'asservissement des études sous cette rubrique, liberté de
l'enseignement, il lui arriva de parler du moyen âge, de l'inquisition, de
Savonarole, de Giordano Bruno, et de Campanella appliqué vingt-sept
fois à la torture pour ses opinions philosophiques, les hommes de la
droite lui crièrent:
--A la question!
Il les regarda fixement, et leur dit:
--Vous voudriez bien m'y mettre.
Cela les fit taire.
Un autre jour, je répliquais à je ne sais quelle attaque d'un
Montalembert quelconque, la droite entière s'associa à l'attaque, qui
était, cela va sans dire, un mensonge, quel mensonge? je l'ai oublié, on
trouvera cela dans ce livre; les cinq cents myopes de la majorité
s'ajoutèrent à leur orateur, lequel n'était pas du reste sans quelque
valeur, et avait l'espèce de talent possible à une âme médiocre; on me
donna l'assaut à la tribune, et j'y fus quelque temps comme aboyé par
toutes les vociférations folles et pardonnables de la colère inconsciente;
c'était un vacarme de meute; j'écoutais ce tumulte avec indulgence,
attendant que le bruit cessât pour continuer ce que j'avais à dire;
subitement, il y eut un mouvement au banc des ministres; c'était le duc
de Montebello, ministre de la marine, qui se levait; le duc quitta sa
place, écarta frénétiquement les huissiers, s'avança vers moi et me jeta
une phrase qu'il comprenait peut-être et qui avait évidemment la
volonté d'être hostile; c'était quelque chose comme: Vous êtes un
empoisonneur public! Ainsi caractérisé à bout portant et effleuré par
cette intention de meurtrissure, je fis un signe de la main, les clameurs
s'interrompirent, on est furieux mais curieux, on se tut, et, dans ce
silence d'attente, de ma voix la plus polie, je dis:
--Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à recevoir le coup de pied de....
Le silence redoubla et j'ajoutai:
--....monsieur de Montebello.
Et la tempête s'acheva par un rire qui, cette fois, ne fut pas contre moi.
Ces choses-là ne sont pas toujours au Moniteur. Habituellement la
droite avait beaucoup de verve.
--Vous ne parlez pas français!--Portez cela à la Porte-Saint-Martin!--
Imposteur!--Corrupteur! --Apostat!--Renégat!--Buveur de sang!--Bête
féroce!--Poëte!
Tel était le crescendo.
Injure, ironie, sarcasme, et çà et là la calomnie, S'en fâcher, pourquoi?
Washington, traité par la presse hostile d'escroc et de filou
(pick-pocket), en rit dans ses lettres. Un jour, un célèbre ministre
anglais; éclaboussé à la tribune de la même façon, donna une
chiquenaude à sa manche, et dit: Cela se brosse. Il avait raison. Les
haines, les noirceurs, les mensonges, boue aujourd'hui, poussière
demain.
Ne répondons pas à la colère par la colère.
Ne soyons pas sévères pour des cécités.
«Ils ne savent ce qu'ils font», a dit quelqu'un sur le calvaire. «Ils ne
savent ce qu'ils disent», n'est pas moins mélancolique ni moins vrai. Le
crieur ignore son cri. L'insulteur est-il responsable de l'insulte? A peine.
Pour être responsable il faut être intelligent.
Les chefs comprenaient jusqu'à un certain point les actions qu'ils
commettaient; les autres, non. La main est responsable, la fronde l'est
peu, la pierre ne l'est pas.
Fureurs, injustices, calomnies, soit.
Oublions ces brouhaha.
VIII
Et puis, car il faut tout dire, c'est si bon la bonne foi, dans les collisions
d'assemblée rappelées ici, l'orateur n'a-t-il rien à se reprocher? Ne lui
est-il jamais arrivé de se laisser conduire par le mouvement de la parole
au delà de sa pensée? Avouons-le, c'est dans la parole qu'il y a du
hasard. On ne sait quel trépied est mêlé à la tribune, ce lieu sonore est
un lieu mystérieux, on y sent l'effluve inconnu, le vaste esprit de tout
un peuple vous enveloppe et s'infiltre dans votre esprit, la colère des
irrités vous gagne, l'injustice des injustes vous pénètre, vous sentez
monter en vous la grande indignation sombre, la parole va et vient de la
conviction fixe et sereine à la révolte
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