Abrégé de lHistoire Universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome Prem | Page 6

Voltaire
un homme, qui a donné de la Divinité les idées les plus saines que puisse former l'esprit humain sans Révélation.
Quelque temps avant lui, Lao-Kum avait introduit une Secte, qui croit aux Esprits malins, aux Enchantements, aux Prestiges. Une Secte semblable à celle d'épicure fut re?ue et combattue à la Chine 500 ans avant JéSUS-CHRIST: mais dans le premier Siècle de notre ère, ce Pays fut inondé de la superstition des Bonzes. Ils apportèrent des Indes l'idole de Fo ou de Foé, adoré sous différents noms par les Japonais et les Tartares, prétendu Dieu descendu sur la Terre, à qui on rend le culte le plus ridicule, et par conséquent le plus fait pour le Vulgaire. Cette Religion née dans les Indes près de mille ans avant JéSUS-CHRIST, a infecté l'Asie orientale; c'est ce Dieu que prêchent les Bonzes à la Chine, les Talapoins à Siam, les Lamas en Tartarie. C'est en son nom qu'ils promettent une vie éternelle, et que des milliers de Bonzes consacrent leurs jours à des exercices de pénitence, qui effrayent la nature. Quelques-uns passent leur vie nus et encha?nés; d'autres portent un carcan de fer, qui plie leurs corps en deux et tient leur front toujours baissé à terre. Leur fanatisme se subdivise à l'infini. Ils passent pour chasser des Démons, pour opérer des miracles; ils vendent aux peuples la rémission des péchés. Cette Secte séduit quelquefois des Mandarins, et par une fatalité qui montre que la même superstition est de tous les Pays, quelques Mandarins se sont fait tondre en Bonzes par piété.
Ce sont eux qui dans la Tartarie ont à leur tête le Dailama, Idole vivante qu'on adore, et c'est là peut-être le triomphe de la Superstition humaine.
Ce Dailama, successeur et vicaire du Dieu Fo, passe pour immortel. Les Prêtres nourrissent toujours un jeune Lama désigné successeur secret du Souverain Pontife, qui prend sa place dès que celui-ci, qu'on croit immortel, est mort. Les Princes Tartares ne lui parlent qu'à genoux. Il décide souverainement tous les points de Foi sur lesquels les Lamas sont divisés. Enfin il s'est depuis quelque temps fait Souverain du Tibet à l'occident de la Chine. L'Empereur re?oit ses Ambassadeurs, et lui en envoie avec des présents considérables.
Ces Sectes sont tolérées à la Chine pour l'usage du Vulgaire, comme des aliments grossiers faits pour le nourrir; tandis que les Magistrats et les Lettrés séparés en tout du peuple, se nourrissent d'une substance plus pure. Confucius gémissait pourtant de cette foule d'erreurs: Pourquoi, dit-il dans un de ses Livres, y a-t-il plus de crimes chez la populace ignorante que parmi les Lettrés? C'est que le peuple est gouverné par les Bonzes.
Beaucoup de Lettrés sont à-la-vérité tombés dans le Matérialisme, mais leur Morale n'en a point été altérée. Ils pensent que la vertu est si nécessaire aux hommes, et si aimable par elle-même, qu'on n'a pas même besoin de la connaissance d'un Dieu pour la suivre.
On prétend que vers le VIIIe Siècle, du temps de Charlemagne, la Religion Chrétienne était connue à la Chine. On assure que nos Missionnaires ont trouvé dans la Province de Kinski une inscription en caractères Syriaques et Chinois. Ce monument qu'on voit tout au long dans Kirker, atteste qu'un évêque nommé Olopuen, partit de Judée l'an de Notre Seigneur 636 pour annoncer l'évangile; qu'aussit?t qu'il fut arrivé au faubourg de la Ville Impériale, l'Empereur envoya un Colao au devant de lui, et lui fit batir une église Chrétienne, etc. La date de l'inscription est de l'année 782.
Ce monument est peut-être une de ces fraudes pieuses, qu'on s'est toujours trop aisément permises. Ce nom d'Olopuen, qui est Espagnol, rend déjà le monument bien suspect. Cet empressement d'un Empereur de la Chine à envoyer à cet Olopuen un Grand de sa Cour, est plus suspect encore dans un Pays où il était défendu sous peine de mort aux étrangers de passer les frontières. La date de l'inscription ne porte-t-elle pas encore le caractère du mensonge? Les Prêtres et les évêques de Jérusalem ne comptaient point leurs années au VIIe Siècle, comme on les compte dans ce monument. L'ère Vulgaire de Denys le Petit n'est point re?ue chez les Nations Orientales, et on ne commen?a même à s'en servir en Occident que vers le temps de Charlemagne. De plus, comment cet Olopuen aurait-il pu, en arrivant, se faire entendre dans une Langue qu'on peut à peine apprendre en dix années; et comment un Empereur eut-il fait tout d'un coup batir une église Chrétienne en faveur d'un étranger qui aurait bégayé par interprète une Religion si nouvelle?
Il est donc probable qu'au temps de Charlemagne, la Religion Chrétienne était absolument inconnue à la Chine.
Je me réserve à jeter les yeux sur Siam, sur le Japon, et sur tout ce qui est situé vers l'Orient et le Midi, lorsque je serai parvenu au
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