Abelard, Tome II. | Page 9

Charles de Rèmusat
des passages recueillis littéralement à ses le?ons, ou extraits de ses écrits[27]. Il n'est pas impossible que de nouvelles recherches dans les bibliothèques un peu riches en manuscrits de l'époque, nous valussent le traité entier ou quelque édition d'un autre traité sur la question qui avait le plus exercé son esprit et signalé son enseignement. On verra que nous avons pu nous-même consulter sur ce sujet un manuscrit d'Abélard que ne mentionne aucun catalogue.
[Note 26: _P. Abaelardi fragmentum sangermanense de Generibus et Speciebus._ Ouvr. inéd., p. 507-550. M. Cousin, qui a publié ce morceau précieux et inconnu, l'a découvert à la bibliothèque du Roi dans un manuscrit du fonds de Saint-Germain-des-Prés. (Introd., p. xiv et xviii.)]
[Note 27: Cousin, _Fragm. philos_., t. III, Append. ix, p. 494.]
Mais enfin, comme les genres et les espèces sont l'origine et le fond véritable de la question, et comme nous possédons sur ce point un fragment étendu, étudions-le d'abord dans tous ses détails. Il commence ainsi[28]:
[Note 28: Ouvr. inéd., _De Gener. et Spec._, p. 518-519.]
?Sur les genres et les espèces, les opinions sont différentes. Les uns, en effet, affirment que les genres et les espèces ne sont que les mots, lesquels sont généraux ou particuliers, et ils ne leur assignent aucune place parmi les choses; les autres, au contraire, disent qu'il y a des choses générales et des choses spéciales, d'universelles et de particulières, mais ceux-ci mêmes se divisent entre eux: quelques-uns disent que les singuliers individuels (les individus) sont espèces et genres, genres subalternes et genres généralissimes (prédicaments), considérés de telle ou telle fa?on; d'autres, au contraire, imaginent certaines essences universelles qu'ils croient être tout entières essentiellement dans chaque individu.?
Ce bref exposé sépare d'abord le nominalisme et le réalisme, puis dans le réalisme distingue deux opinions: l'une, qui n'admet que des individus, voit dans les individus des universaux considérés et restreints d'une certaine manière et plus ou moins particularisés; c'est l'opinion que Jean de Salisbury prête aux partisans de Gautier de Mortagne. L'autre admet, indépendamment des individus, des essences universelles qui résident entièrement en chacun d'eux, et c'est l'opinion, l'opinion première et foncière de Guillaume de Champeaux.
Abélard entreprend l'examen de ces opinions, en commen?ant par la dernière, dont il donne le développement.
?De toutes ces opinions, recherchons ce qui peut raisonnablement subsister, et d'abord enquérons-nous de cette pensée qui se pose ainsi: l'homme est une certaine espèce, chose essentiellement une, à laquelle adviennent certaines formes, et elles font Socrate. Cette même espèce ou chose est de la même manière _informée_ par les formes qui font Platon et les autres individus de l'espèce homme. Il n'y a pas en Socrate, hormis ces formes informant cette matière pour faire Socrate, quelque chose qui ne soit en même temps _informé_ en Platon par les formes de Platon; et cette pensée, on l'applique des espèces aux individus et des genres aux espèces.
?Mais, s'il en est ainsi, qui peut faire que Socrate ne soit pas en même temps à Rome et à Athènes? En effet, où est Socrate, là est aussi l'homme universel qui a dans toute sa quantité re?u la forme de la _socratité_, car tout ce que re?oit la chose universelle elle le garde dans toute sa quantité[29]. Si donc la chose universelle affectée tout entière de la _socratité_ est dans le même temps à Rome tout entière en Platon, il est impossible que dans le même temps n'y soit pas la _socratité_, qui contenait l'essence tout entière; or, partout où la _socratité_, est dans un homme, là est Socrate, car Socrate est l'homme socratique. Un esprit raisonnable n'a rien à opposer à cela[30].
[Note 29: C'est cette proposition qui fait le nerf de l'argument; aussi M. Cousin l'a-t-il attaquée, et il a fait remarquer que plus d'une substance, le moi par exemple, peut prendre plusieurs formes, mais successivement, et en étant tout entière dans chacune de ses manifestations, ne pas les garder à toujours ni s'identifier avec elles. Cela est vrai; mais le moi n'est pas universel, il est au contraire une individualité rigoureuse, et ses manifestations ou modes ne sont pas des formes essentielles. La proposition d'Abélard: ?L'universel (l'essence universelle) contracte et retient dans sa totalité tout ce qu'elle re?oit,? est vraie hypothétiquement, c'est-à-dire dans l'hypothèse de Guillaume de Champeaux, et si l'essence universelle est intégralement dans chaque individu. Elle devient fausse, si l'on admet que l'essence de l'espèce n'est pas identique, mais semblable dans chaque individu; mais ce n'est plus là, suivant Abélard, la supposition du réalisme absolu. (Cousin, Introd., p. cxxxvi.)]
[Note 30: Aristote en juge comme Abélard: ?Il est impossible, selon nous, qu'aucun universel, quel qu'il soit, soit une substance. Et d'abord, la substance première d'un individu, c'est celle qui lui est propre, qui n'est point la substance d'un autre. L'universel, au contraire, est commun à plusieurs êtres; car ce qu'on nomme universel, c'est ce
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