jolie? Je l’ignorais, mais ce que je pouvais
affirmer, c’est qu’elle chantait adorablement. (Les cloisons de l’hôtel
sont composées, je crois, de simple pelure d’oignon.)
Elle devait être jeune, car le timbre de sa voix était d’une fraîcheur
délicieuse, avec quelque chose, dans les notes graves, d’étrange et de
profondément troublant.
Ce qu’elle chantait, c’était une simple et vieille mélodie américaine,
comme il en est de si exquises.
Bientôt la chanson prit fin et une voix d’homme se fit entendre.
-- Bravo! Miss Ellen, vous chantez à ravir, et vous m’avez causé le plus
vif plaisir… Et vous, maître Sem, n’allez-vous pas nous dire une
chanson de votre pays?
Une grosse voix enrouée répondit en patois négro-américain:
-- Si ça peut vous faire plaisir, monsieur George.
Et le vieux nègre (car, évidemment, c’était un vieux nègre) entonna une
burlesque chanson dont il accompagnait le refrain en dansant la gigue,
à la grande joie d’une petite fille qui jetait de perçants éclats de rire.
-- À votre tour, Doddy, fit l’homme, dites-nous une de ces belles fables
que vous dites si bien.
Et la petite Doddy récita une belle fable sur un rythme si précipité, que
je ne pus en saisir que de vagues bribes.
-- C’est très joli, reprit l’homme; comme vous avez été bien gentille, je
vais vous jouer un petit air de guitare, après quoi nous ferons tous un
beau dodo.
L’homme me charma avec sa guitare.
À mon gré, il s’arrêta trop tôt, et la chambre voisine tomba dans le
silence le plus absolu.
-- Comment, me disais-je, stupéfait, ils vont passer la nuit tous les
quatre dans cette petite chambre?
Et je cherchais à me figurer leur installation.
Miss Ellen couche avec George.
On a improvisé un lit à la petite Doddy, et Sem s’est étendu sur le
parquet. (Les vieux nègres en ont vu bien d’autres!)
Ellen! quelle jolie voix, tout de même!
Et je m’endormis, la tête pleine d’Ellen.
Le lendemain, je fus réveillé par un bruit endiablé. C’était maître Sem
qui se dégourdissait les jambes en exécutant une gigue nationale.
Ce divertissement fut suivi d’une petite chanson de Doddy, d’une
adorable romance de miss Ellen, et d’un solo de piston véritablement
magistral.
Tout à coup, une voix monta de la cour.
-- Eh bien! George; êtes-vous prêt? Je vous attends.
-- Voilà, voilà, je brosse mon chapeau et je suis à vous.
Effectivement, la minute d’après, George sortait.
Je l’examinai par l’entrebâillement de ma porte.
C’était un grand garçon, rasé de près, convenablement vêtu, un
gentleman tout à fait.
Dans la chambre, tout s’était tu.
J’avais beau prêter l’oreille, je n’entendais rien.
Ils se sont rendormis, pensai-je.
Pourtant, ce diable de Sem semblait bien éveillé.
Quels drôles de gens!
Il était neuf heures, à peu près. J’attendis.
Les minutes passèrent, et les quarts d’heure, et les heures. Toujours pas
un mouvement.
Il allait être midi.
Ce silence devenait inquiétant.
Une idée me vint.
Je tirai un coup de revolver dans ma chambre, et j’écoutai. Pas un cri,
pas un murmure, pas une réflexion de mes voisins. Alors j’eus
sérieusement peur. J’allai frapper à leur porte
-- _Open the door, Sem! … Miss Ellen!… Doddy! Open the door…_
Rien ne bougeait! Plus de doute, ils étaient tous morts. Assassinés par
George, peut-être, ou asphyxiés! Je voulus regarder par le trou de la
serrure. La clef était sur la porte. Je n’osai pas entrer. Comme un fou, je
me précipitai au bureau de l’hôtel.
-- Madame Stéphany, fis-je d’une voix que j’essayai de rendre
indifférente, qui demeure à côté de moi?
-- Au 81? C’est un Américain, M. George Huyotson.
-- Et que fait-il?
-- Il est ventriloque.
LE MEDECIN MONOLOGUE POUR CADET
Pour avoir du toupet, je ne connais personne comme les médecins. Un
toupet infernal! Et un mépris de la vie humaine, donc!
Vous êtes malade, votre médecin arrive. Il vous palpe, vous ausculte,
vous interroge, tout cela en pensant à autre chose. Son ordonnance faite,
il vous dit: « Je repasserai », et -- vous pouvez être tranquille -- il
repassera, jusqu’à ce que vous soyez passé, vous, et trépassé.
Quand vous êtes trépassé, immédiatement un croque-mort vient lui
apporter une petite prime des pompes funèbres.
Si vous résistez longtemps à la maladie et surtout aux médicaments, le
bon docteur se frotte les mains, car ses petites visites et surtout la petite
remise que lui fait le pharmacien font boule de neige et finissent par
constituer une somme rondelette.
Une seule chose l’embête, le bon docteur: c’est si vous guérissez tout
de suite. Alors il trouve encore moyen de faire son malin et de vous
dire, avec un aplomb infernal:
-- Ah! ah! je vous ai tiré de là!
Mais de tous les médecins celui qui a le plus de toupet, c’est le mien,
ou plutôt
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