Lénore et autres ballades | Page 2

Gottfried August Bürger
en route, et je viens te chercher pour te
prendre avec moi.
--Oh! Wilhelm! entre d'abord que je te réchauffe dans mes bras.
Entends-tu le bruit du vent dans la forêt?
--Laisse l'aquilon mugir dans la forêt, enfant, laisse-le mugir. Le
coursier frappe la terre, les éperons résonnent; je ne puis demeurer ici.
Viens, chausse-toi, saute en croupe derrière moi. Il me faut faire encore
cent lieues aujourd'hui pour me précipiter avec toi au lit nuptial!
--Comment veux-tu que nous fassions aujourd'hui cent lieues pour aller
au lit de noces! Écoute: la cloche qui a sonné onze heures vibre encore.
--Regarde! La lune est claire et brillante. Nous et les morts nous allons
vite. Je te promets de te mener aujourd'hui même au lit nuptial.
--Dis-moi, où est ta demeure, et comment est ton lit de noces?
--Loin, bien loin d'ici; étroit, humide et silencieux: six planches et deux
planchettes.
--Y a-t-il de la place pour toi et pour moi?
--Pour toi et pour moi. Viens, chausse-toi et monte en croupe: la
chambre nuptiale est ouverte, les conviés nous attendent.

La jeune fille se chausse et saute avec agilité sur le cheval: elle enlace
ses blanches mains autour de celui qu'elle aime, et ils s'élancent avec le
bruit et la rapidité de la tempête. Le cheval et le cavalier respiraient à
peine, les pierres étincelaient sous leurs pas.
Oh! comme à gauche et à droite disparurent à leurs yeux les prairies,
les plaines et les campagnes! comme les ponts retentirent à leur
passage!
--A-t-elle peur, mon amie?... La lune est brillante. Hurrah! les morts
vont vite. A-t-elle peur des morts?
--Oh! non. Mais laisse les morts en repos.
Quelles sont ces voix lugubres! Où volent ces corbeaux? Écoutez: c'est
le glas des cloches et l'hymne des funérailles. «Laissez-nous ensevelir
ce corps[6].» Et de plus en plus approchait le convoi funèbre, déjà on
distinguait la bière, et le chant semblait les accents sinistres des
habitants des marais.
--Après minuit, vous ensevelirez ce corps avec vos chants et vos
plaintes. Maintenant je conduis chez moi ma fiancée, venez assister au
banquet: viens, chantre, viens avec le choeur, et entonne l'hymne du
mariage! prêtre, viens aussi, tu prononceras la bénédiction quand nous
entrerons au lit nuptial.
Le chant funèbre a cessé, la bière a disparu: obéissant à sa voix, le
convoi part à leur suite. Hurrah! Hurrah! Ils sont presque sur les pieds
du cheval, et ils s'élancent avec le bruit et la rapidité de la tempête: le
cheval et le cavalier respiraient à peine; les pierres étincelaient sous
leurs pas.
Oh! comme s'envolèrent à gauche et à droite les montagnes et les forêts,
les buissons et les campagnes, les hameaux et les villes!
-Crains-tu? mon amie...
Là lune est brillante. Hurrah! les morts vont vite! A-t-elle peur des

morts?
--Oh! laisse donc les morts en repos!
--Vois-tu, vois-tu auprès de ces potences ces fantômes aériens, demi
visibles à la pâle clarté de la lune? ils dansent autour de la roue. Ici, ici,
troupe vile et infâme, suivez-nous; dansez la danse des noces, nous
allons au lit nuptial.
Et la foule des esprits s'élance après eux avec des cris et un bruit
semblable à celui de l'ouragan dans les bruyères desséchées. Et ils
allaient toujours au galop avec le fracas et la rapidité de la tempête: le
cheval et le cavalier respiraient à peine; les pierres étincelaient sous
leurs pas.
Oh! comme s'envolait au loin tout ce que la lune éclairait autour d'eux!
Comme le ciel et les astres glissaient au-dessus de leurs têtes.--A-t-elle
peur, mon amie?... La lune est brillante. Hurrah! Les morts vont vite!
A-t-elle peur des morts?
--Oh! mon Dieu! laisse donc les morts en repos!
--Mon cheval noir! Il me semble entendre déjà le chant du coq. Bientôt
le sablier sera écoulé! Mon noir! mon noir! Je sens l'air du matin.
Dépêche-toi, hâte-toi!... Finie, finie est notre course! Le lit nuptial
s'ouvre pour nous: les morts vont vite: nous voici arrivés!»
Il s'élance à bride abattue contre une grille de fer: de sa houssine légère,
il frappe... les verrous se brisent et les deux battants s'ouvrent avec
fracas. Leur élan rapide les emporte par-delà les tombes qui
apparaissent de tous côtés à la clarté de la lune.
Mais voyez, voyez! Au même instant, Dieu! quel affreux miracle! Le
manteau du cavalier tombé en poussière[7], sa tête est changée en une
tête de mort décharnée, son corps est un squelette armé d'une faux et
d'un sablier!
Le cheval noir se cabre furieux; il hennit, vomit des flammes, et

s'abîme dans de sombres profondeurs. Des hurlements, des hurlements
descendent des sphères célestes, des gémissements sortent du fond des
tombes. Le coeur de Lénore palpitait avec angoisse entre la vie et la
mort.
Alors, à la lueur de l'astre nocturne, et se tenant par la
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