LEscalier dOr | Page 2

Edmond Jaloux
��mouvantes les unes que les autres!
Cette ��trange passion m'a donn�� de curieuses relations, des amiti��s pr��cieuses et bizarres, et j'aurais un fort gros volume �� ��crire si je voulais en faire un r��cit complet; mais mon ambition ne s'��l��ve pas si haut: il me suffira de relater ici aussi rapidement que possible ce que j'ai appris des moeurs et du caract��re de M. Val��re Bouldouyr, afin d'aider les chroniqueurs, si jamais il s'en trouve un qui, �� l'exemple de Paul de Musset ou de Charles Monselet, veuille tracer une galerie de portraits d'apr��s les excentriques de notre temps.
A l'��poque o�� je fis sa connaissance, je venais de quitter l'appartement que j'habitais dans l'?le Saint-Louis pour me fixer au Palais-Royal.
Ce quartier me plaisait parce qu'il a �� la fois d'isol�� et de populaire. Les maisons qui encadrent le jardin ont belle apparence, avec leurs fa?ades r��guli��res, leurs pilastres, et ce balcon qui court sur trois c?t��s, exhaussant, �� intervalles ��gaux, un vase noirci par le temps; mais tout autour, ce ne sont encore que rues ��troites et tournantes, places provinciales, passages vitr��s aux boutiques vieillottes, recoins bizarres, boutiques inattendues. Les gens du quartier semblent y vivre, comme ils le feraient �� Castres ou �� Langres, sans rien savoir de l'��norme vie qui grouille �� deux pas d'eux, et �� laquelle ils ne s'int��ressent gu��re. Ils ont tous, plus ou moins, des choses de ce monde la m��me opinion que mon coiffeur, M. Delavigne, qui, un matin o�� un ministre de la Guerre, alors fameux, fut tu�� en assistant �� un d��part d'a��roplanes, se pencha vers moi et me dit, tout ��mu, tandis qu'il me barbouillait le menton de mousse:
--Quand on pense, monsieur, que cela aurait pu arriver �� quelqu'un du quartier!
Delavigne fut le premier d'ailleurs �� me faire appr��cier les charmes du mien. Il tenait boutique dans un de ces passages que j'ai cit��s tant?t et que beaucoup de Parisiens ne connaissent m��me pas. Sa devanture attirait les regards par une grande assembl��e de ces t��tes de cire au visage si inexpressif qu'on peut les coiffer de n'importe quelle perruque sans modifier en rien leur physionomie.
Quand on entrait dans le magasin, il ��tait g��n��ralement vide; M. Delavigne se souciait peu d'attendre des heures enti��res des chalands incertains. Lorsqu'il sortait, il ne fermait m��me pas sa porte, tant il avait confiance dans l'honn��tet�� de ses voisins. D'ailleurs, qu'e?t-on vol�� �� M. Delavigne?
Trois pi��ces, qui se suivaient et qui ��taient fort exigu?s, composaient tout son domaine. La premi��re contenait les lavabos; la seconde, des armoires o�� j'appris plus tard qu'il enfermait ses postiches; pour la troisi��me, je n'ai jamais su �� quoi elle pouvait servir.
Trouvait-on M. Delavigne? Il vous recevait avec un sourire suave et vous priait de l'attendre, car il ��tait en g��n��ral fort occup�� �� de copieux bavardages. De curieuses personnes causaient avec lui dans l'arri��re-boutique, quelquefois, de bonnes gens qui venaient chercher perruque, mais aussi des marchandes �� la toilette, des courti��res du Mont-de-Pi��t��, de vieux beaux encore solennels. J'ai souvent soup?onn�� M. Delavigne de faire un peu tous les m��tiers; mais je dois avouer que je n'ai rien surpris de suspect dans ses actes, et je crois qu'il avait seulement l'amour immod��r�� des dominos, passion �� laquelle il se livrait dans un caf�� voisin, qui s'appelait et s'appelle encore: A la Promenade de V��nus. Je n'ais jamais pu passer devant cet endroit sans imaginer que j'allais d��barquer �� Paphos ou �� Amathonte.
--Monsieur, me disait souvent M. Delavigne avec m��lancolie, il n'y a vraiment qu'un emploi pour lequel je ne me sente aucune disposition: c'est celui que j'exerce! Rien ne m'ennuie plus que de faire un "complet", ou m��me une barbe, et �� la seule id��e d'un shampoing, sauf votre respect, le coeur me l��ve de d��go?t!
--Aviez-vous une autre vocation, monsieur Delavigne?
--Aucune, monsieur Salerne, mais j'aimerais assez ��tre souffleur �� la Com��die-Fran?aise, ou, sauf votre respect, greffier du tribunal. Je crois que, dans ce m��tier-l��, on a un costume ��tonnant, avec de l'hermine qui pend quelque part. Il me plairait aussi beaucoup d'��tre po��te comme cet ��crivain dont je porte le nom, para?t-il, et qui ��tait peut-��tre un de mes anc��tres...
--Po��te, monsieur Delavigne? Peste! Vous voici bien ambitieux!
--Monsieur Salerne croit-il que je suis insensible? Non, non, on peut ��tre coiffeur et avoir ses d��ceptions, ses d��sillusions, tout comme un autre. Nous habitons un monde, monsieur, o�� le coeur n'a pas sa r��compense!
On le voit, je prenais plaisir aux propos de M. Delavigne. Sous cette fleur de bonne compagnie, qui leur donnait tant de charme, je retrouvais un type en quelque sorte national, sentencieux, aimant �� moraliser, vaniteux, au moment m��me qu'il m��prisait le plus son caract��re et son ��tat; avec cela, sentimental et toujours d��?u par quelque chose. Deux ou trois journaux tra?naient dans sa boutique, dont j'ai su depuis
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